Dans l'écrin mystique du Maroc, où les traditions séculaires se mêlent à
la spiritualité, il existe un art qui transcende la simple performance pour
toucher l'âme : l'art Aïssaoua, Plus qu'une musique ou une danse, c'est
une voie initiatique, un cheminement spirituel profondément enraciné dans
l'histoire et la culture marocaine.
Cet article vous plongera au cœur de cette pratique ancestrale,
explorant ses origines, ses rituels et son impact sur le patrimoine immatériel
du Royaume.
Les Racines Profondes
de la Tariqa Aïssaouia : Aux Sources d'un Art Sacré
Pour
comprendre l'art Aïssaoua, il est essentiel de remonter à ses origines. La Tariqa
Aïssaouia (confrérie Aïssaoua) a été fondée au XVIe siècle par le cheikh
Sidi Mohamed Ben Aïssa (connu sous le nom de Al-Kamil), un érudit et saint
soufi né à Meknès au Maroc, Cherchant une voie d'union avec le divin, Sidi
Mohamed Ben Aïssa a développé une doctrine basée sur le dhikr (rappel de
Dieu) intense, la samâ' (écoute spirituelle de la musique et du chant),
et des pratiques extatiques visant à atteindre un état de transe et de
communion spirituelle.
Dès
ses débuts, la confrérie s'est distinguée par l'utilisation de la musique et de
la danse comme supports essentiels à l'élévation spirituelle, Les disciples,
appelés Aïssaoua, se sont rapidement répandus à travers le Maroc, puis
dans d'autres régions du Maghreb (Algérie, Tunisie) et même au-delà, emportant
avec eux leurs chants, leurs rythmes et leurs rituels uniques, Leur pratique,
souvent perçue comme mystérieuse par les non-initiés, est profondément ancrée
dans la philosophie soufie de l'amour divin et du renoncement au moi.
Le Cœur de l'Art
Aïssaoua : Musique, Chant et Rituel
L'art
Aïssaoua est un orchestre complet d'éléments rituels où chaque composante joue
un rôle crucial dans l'atteinte de l'état spirituel recherché, La musique et le
chant ne sont pas de simples divertissements, mais des vecteurs sacrés de la
parole divine et des outils pour l'élévation de l'âme.
Une Orchestration Riche
et Symbolique
L'instrumentation
Aïssaoua est riche et variée, dominée par les percussions et les instruments à
vent :
o Bendirs : Tambours sur cadre munis de cymbalettes, ils
fournissent le rythme pulsant, souvent rapide et répétitif, qui est le cœur de
la musique Aïssaoua.
o Taârijas : Petites derboukas en terre cuite, elles ajoutent
des nuances rythmiques complexes.
o Guembris : Luths à trois cordes, ils apportent une mélodie
grave et hypnotique, souvent en prélude aux chants.
o Ghaitas (ou Zournas) : Hautbois traditionnels aux sons stridents et
perçants, ils sont essentiels pour les mélodies enivrantes qui accompagnent les
phases de transe, Leurs sons puissants sont reconnaissables entre tous et
symbolisent souvent l'appel à la prière ou l'entrée dans le rituel.
o Nfir : Longues trompes utilisées principalement dans les
processions et pour annoncer les grands rassemblements, ajoutant une dimension
solennelle.
Les Chants : Dhikr et
Poésie Soufie
Les
chants Aïssaoua sont principalement des dhikr (formules répétitives
louant Dieu ou le Prophète) et des poèmes mystiques soufis, Ces chants sont
souvent exécutés en alternance entre un soliste (le moqaddem ou chef de
la confrérie, ou un chanteur expérimenté) et le chœur des disciples, La
répétition progressive des noms divins et des formules incantatoires, associée
aux rythmes intenses, a pour but de plonger les participants dans un état
méditatif, puis extatique.
Les
paroles, bien que parfois simples dans leur forme, sont chargées de
significations profondes, exprimant l'amour pour Dieu, le Prophète et les
saints, la quête de la vérité et l'abandon de soi.
La Hadra : Le Rituel
Central
Le
cœur de la pratique Aïssaoua est la Hadra (ou Laila), une séance
rituelle nocturne qui peut durer des heures, voire toute une nuit, Elle se
déroule en plusieurs phases progressives :
1. L'Iftitah (Ouverture) :
Début lent et méditatif, avec des chants doux et
des percussions modérées, invitant les participants à se concentrer.
2. Le Dhikr Rythmé : Le rythme s'accélère progressivement, Les chants
deviennent plus intenses, les percussions plus frénétiques, Les participants
commencent à bouger, balançant leur corps au rythme de la musique.
3. Les Haddarates : C'est la phase de transe et de danse extatique,
Certains participants, appelés haddarates (ceux qui
"s'abandonnent"), entrent dans un état de conscience altérée, se
livrant à des mouvements incontrôlés, des cris, des sauts, et parfois des actes
impressionnants comme la danse du sabre ou le bris d'objets sans se blesser
(bien que ces pratiques soient aujourd'hui moins courantes ou plus ritualisées
pour la sécurité), Cette transe est perçue comme une manifestation de la
présence divine ou de la baraka (bénédiction) du saint fondateur.
4. Le Khitam (Clôture) : Le rythme ralentit, les chants s'apaisent, Les
participants reviennent progressivement à un état de calme, souvent épuisés
mais purifiés et revigorés spirituellement.
La
Hadra est plus qu'une performance ; c'est une thérapie collective, une
catharsis spirituelle où les individus se libèrent de leurs fardeaux et se
reconnectent au divin.
Le Rôle des Aïssaoua
dans la Société Marocaine
Au-delà
des rituels nocturnes, les Aïssaoua ont toujours joué un rôle significatif dans
la société marocaine, agissant comme des gardiens de traditions, des
guérisseurs et des animateurs de la vie culturelle et religieuse.
Gardiens de la
Tradition et du Patrimoine
Les
Aïssaoua sont les dépositaires d'un savoir ancestral, transmettant oralement
leurs chants, leurs rythmes et leurs rituels de génération en génération, Ils
perpétuent une forme d'art qui est une partie intégrante de l'identité
culturelle marocaine, Leur présence est essentielle lors de nombreuses
célébrations religieuses, telles que le Mawlid (naissance du Prophète),
les fêtes soufies, et les moussem (festivals annuels dédiés aux saints locaux).
Rôle Thérapeutique et
Guérisseur
Historiquement,
les Aïssaoua étaient réputés pour leurs capacités de guérison par la transe
et l'intercession spirituelle, On croyait qu'ils pouvaient soigner certaines
maladies physiques ou mentales, notamment celles d'origine psychologique ou
attribuées aux djinns (esprits), grâce à leurs rituels et à la force de la
baraka (bénédiction divine) du saint fondateur, Bien que moins prégnant dans la
médecine moderne, cet aspect thérapeutique reste ancré dans la perception
populaire et constitue une part importante de leur héritage.
Attraction Culturelle
et Touristique
Aujourd'hui,
l'art Aïssaoua dépasse les cercles purement religieux pour devenir une attraction
culturelle majeure au Maroc, Des troupes Aïssaoua se produisent lors de
festivals nationaux et internationaux, tels que le Festival des Musiques
Sacrées du Monde de Fès ou le Festival Gnaoua et Musiques du Monde d'Essaouira
(où ils partagent parfois la scène avec d'autres confréries).
Pour
les touristes et les amateurs de musique du monde, assister à une performance
Aïssaoua est une expérience sensorielle et spirituelle inoubliable, C'est une
immersion profonde dans l'âme mystique du Maroc, une occasion de découvrir un
aspect moins connu mais fascinant de son patrimoine immatériel.
La puissance des chants, la frénésie des
rythmes et l'intensité des mouvements créent un spectacle captivant qui
témoigne de la richesse et de la diversité des expressions artistiques et
spirituelles marocaines.
La Transmission et la
Persistance de l'Art Aïssaoua
Malgré
les défis posés par la modernité et l'évolution des modes de vie, l'art
Aïssaoua continue de prospérer et d'être transmis aux nouvelles générations.
Les Zâwiyas et les
Moqaddems
La
transmission se fait principalement au sein des Zâwiyas (centres de la
confrérie), où les jeunes disciples sont initiés par des maîtres expérimentés, les
moqaddems, Ces leaders spirituels et artistiques sont les gardiens du
savoir, des techniques musicales et des rituels, Ils enseignent non seulement
les chants et les rythmes, mais aussi la philosophie soufie sous-jacente à la
pratique Aïssaoua, L'apprentissage
est souvent long et exigeant, nécessitant une immersion totale et une
discipline rigoureuse.
Festivals et Scènes
Internationales
La
participation à des festivals culturels, tant au Maroc qu'à l'étranger, joue un
rôle crucial dans la pérennisation de l'art Aïssaoua, Ces plateformes offrent
une visibilité nécessaire, permettent aux troupes de se produire devant un
public plus large et d'attirer de nouveaux adeptes ou simplement des
admirateurs.
Elles contribuent également à la
reconnaissance de cet art comme un patrimoine vivant, valorisant sa dimension
artistique et spirituelle.
L'Évolution dans le
Respect de la Tradition
Comme
toute tradition vivante, l'art Aïssaoua n'est pas figé, Il connaît des
évolutions, s'adaptant parfois aux contextes modernes tout en veillant à
préserver son essence, Certains aspects spectaculaires peuvent être mis en
avant lors de performances publiques, tandis que les rituels profonds et
initiatiques restent l'apanage des cercles fermés de la confrérie, Cette
capacité à s'adapter tout en maintenant la fidélité à ses racines est la clé de
sa résilience.
L'Aïssaoua et le
Soufisme au Maroc : Un Lien Indissociable
L'art
Aïssaoua est inséparable du soufisme, la dimension mystique de l'Islam,
Au Maroc, le soufisme a toujours joué un rôle fondamental dans la spiritualité
et la culture, Il a façonné l'identité religieuse du pays, prônant une approche
de l'Islam basée sur l'amour, la tolérance et la quête intérieure.
Les
confréries soufies, dont la Tariqa Aïssaouia est l'une des plus célèbres, sont
des piliers de cette tradition, Elles offrent un cadre structuré pour la
pratique spirituelle, l'enseignement religieux et la transmission du savoir, Leur
influence se manifeste non seulement dans la musique et la danse, mais aussi
dans l'architecture, la poésie et les valeurs sociales. La Hadra Aïssaoua, avec
ses chants de dhikr et ses transes, est une illustration parfaite de la manière
dont le soufisme marocain utilise l'art pour élever l'âme et se rapprocher du
divin.
Le
Maroc, en tant que terre de saints et de soufis, a toujours encouragé cette
dimension mystique, la considérant comme une richesse spirituelle, L'art
Aïssaoua est donc non seulement un trésor culturel, mais aussi un témoignage
vivant de la profondeur de la spiritualité soufie marocaine.
Conclusion : L'Art
Aïssaoua, une Invitation au Voyage Intérieur
L'art
Aïssaoua est une expression artistique et spirituelle d'une richesse
incomparable, Du battement hypnotique du bendir aux mélodies envoûtantes de la
ghaita, en passant par les chants incantatoires, chaque élément participe à une
expérience immersive qui dépasse les sens, C'est une porte ouverte sur la
spiritualité soufie marocaine, un témoignage vibrant de la persistance de
traditions ancestrales dans un monde en constante évolution.
Pour
ceux qui cherchent à comprendre l'âme profonde du Maroc, l'art Aïssaoua est une
étape incontournable, Il ne s'agit pas seulement d'assister à une performance,
mais de se laisser emporter par un courant d'énergie collective, de ressentir
la puissance du dhikr et, peut-être, d'entrevoir un aperçu de la transe
mystique.
Que
vous soyez un passionné de musique du monde, un chercheur spirituel ou un
simple curieux, l'art Aïssaoua vous offre une invitation unique à un voyage
intérieur, au cœur d'une culture où le sacré et l'artistique se rejoignent en
une harmonie parfaite.
Avez-vous déjà eu la chance d'assister à une Hadra Aïssaoua ou d'écouter leurs mélodies envoûtantes ? Votre expérience nous intéresse !
Foire Aux Questions
(FAQ)
1.Qu'est-ce que l'art
Aïssaoua ?
L'art
Aïssaoua est une forme d'expression
artistique et spirituelle issue de la Tariqa Aïssaouia, une confrérie
soufie marocaine fondée au XVIe siècle par Sidi Mohamed Ben Aïssa, Il
combine musique, chants rituels, et parfois danse extatique pour atteindre un
état de transe et de communion spirituelle.
2.Qui était Sidi
Mohamed Ben Aïssa ?
Sidi
Mohamed Ben Aïssa (Al-Kamil) est le fondateur de la Tariqa Aïssaouia au XVIe
siècle à Meknès, au Maroc, C'était un érudit soufi qui a développé une doctrine
axée sur le dhikr (rappel de Dieu) et la samâ' (écoute
spirituelle).
3.Quels instruments
sont utilisés dans la musique Aïssaoua ?
La
musique Aïssaoua utilise principalement des percussions comme les bendirs
(tambours sur cadre) et les taârijas (petites derboukas), ainsi que des
instruments à vent comme les ghaitas (hautbois traditionnels) et parfois
le guembri (luth à trois cordes).
4.Qu'est-ce que la
Hadra Aïssaoua ?
La Hadra (ou Laila) est le rituel central des Aïssaoua,
C'est une séance nocturne qui alterne chants de dhikr de plus en plus intenses,
rythmes hypnotiques et mouvements corporels, Son but est de guider les
participants vers un état de transe et d'élévation spirituelle.
5.Quel est le rôle des
Aïssaoua dans la société marocaine ?
Les
Aïssaoua sont des gardiens de la tradition et du patrimoine soufi, Ils
participent aux célébrations religieuses et étaient historiquement réputés pour
leurs capacités de guérison par la transe, Aujourd'hui, leur art est
également une attraction culturelle majeure, présente dans de nombreux
festivals.
6.L'art Aïssaoua est-il
lié au soufisme ?
Oui,
l'art Aïssaoua est indissociablement lié au soufisme, la dimension mystique de
l'Islam, Il incarne la quête soufie de l'amour divin et de la connexion
spirituelle à travers l'expression artistique.
7.Comment l'art Aïssaoua
est-il transmis aux nouvelles générations ?
La
transmission se fait principalement au sein des Zâwiyas (centres de la
confrérie), où les jeunes sont initiés par les moqaddems (chefs et
maîtres), La participation à des festivals culturels contribue également à sa
pérennisation en offrant une visibilité et en attirant de nouveaux intéressés.